En mai, mon amie Mathilde, qui maîtrise le tarot d’une main de maître, me tirait les cartes et m’annonçait un grand changement à venir. Un changement de vie. Elle m’a dit quelque chose comme "tu vas lire ou entendre une phrase et à partir de là une graine va germer dans ta tête et ça va découler sur quelque chose d’énorme". Comme à chaque fois qu’elle me tire les cartes, ça déclenche en moi un petit peu d’anxiété. L’idée que ma vie toute entière puisse être prédéfinie, se lire dans un tarot, a tendance à m’angoisser. Suis-je réellement maître de mon quotidien ou est-ce que je suis juste en train de suivre un chemin tout tracé ?
Suite à ce tirage, j’ai continué mes aventures. Sortir beaucoup, travailler, profiter de Paris et imaginer des vies dans ma tête. J’organisais mon voyage à Bali et je m’amusais à prétendre que je n’allais pas rentrer. Après tout, dans un monde idéal, si on me donnait l’opportunité de ne pas revenir, j’y resterais. J’ai toujours voulu voir le monde, vivre à l’étranger, ça ne m’a jamais quitté.
Quand j’écris ces lignes, je lis un livre sur le fait d’être à sa place. De prendre sa place. De changer de place. Un livre de la philosophe Claire Marin, dans lequel elle explique, que le foyer tel qu’on le connaît, il a tendance à nous enfermer. On s’y sent bien donc on y reste. J’aime Mon foyer. J’aime Mon appartement comme je n’ai jamais aimé quatre murs. Il est le temple de mes réflexions, le lieu de mon épanouissement. Il est mon phare, mon repère, l’espace où je me suis reconstruite et finalement construite. L’endroit où j’ai repris mon souffle. Ma maison. Ma première vraie maison à moi, rien qu’à moi. Quitter cette cabane, m’imaginer fermer des cartons, tourner la clef dans la porte, ça fait battre mon cœur plus vite. Et je sais, que moins j’ai envie de quitter ces 25 m2, plus c’est inévitable.
C’est l’appartement de l’entre deux. La planche sur laquelle se reposer, avant de sauter dans le vide. Et ça y est, l’heure du saut a sonné. La vie, cette étonnante vie que je ne comprends pas trop, a décidé de donner raison à Mathilde et son tarot.
Je ne joue jamais aux jeux concours, car je perds tout le temps. Je ne fais jamais de loto non plus. La plupart du temps, quand il faut faire confiance au destin, à la main de Dieu, au hasard, je passe mon tour. Et puis, il y a eu ce soir de janvier. J’étais dans ma chambre d’ado chez mon père, je n’avais pas envie de rentrer à Paris. Ce n’est pas tant Paris, c’est le quotidien. Les jours commençaient à se ressembler, c’était l’hiver, j’avais envie d’ailleurs. Voir de nouvelles choses, rencontrer de nouvelles personnes, vivre de nouvelles aventures. Je me suis dit que j’allais essayer de trouver une façon de faire tout ça : changer de travail ou déménager. C'étaient les solutions auxquelles je pensais.
Ce soir-là, en fixant le plafond de cette pièce qui m’a vu grandir, me développer, rêver d’ailleurs, j’ai jeté les dés. J’ai renseigné mon profil candidat et j’ai soumis ma demande, pour obtenir un PVT au Canada. Je me suis inscrite dans un “bassin”. J’ai jeté mes brassards et j’ai annoncé à la vie “maintenant c’est à toi de jouer”. Mon amie du collège avait été tirée au sort quelques années auparavant, ça ne coûte rien de remplir ses informations et de cliquer sur valider. Je n’avais pas particulièrement envie de partir loin, ce n’était pas dans mes plans. J’étais persuadée que je ne serais pas tirée au sort, puisque moi, je ne gagne jamais rien. Je l’ai fait comme ça, pour dire “oui j’essaie”. J’essaie de mettre de la nouveauté dans ma vie.
Puis je suis passée à autre chose. J’ai réfléchi à ce que je voulais faire, quelle était ma prochaine étape. Changer de CDI ? Changer de ville française ? Tout plaquer pour partir vivre une vie de roots à Bali ? Oui ça, ça me disait bien. Je commençais à imaginer que moi aussi, je pouvais être indépendante et écrire mes articles depuis un autre pays. Seulement des idées, mais elles grandissaient, elles prenaient de la place.
Et puis j’ai reçu un mail. Presque deux ans après avoir reçu l’appel qui m’annonçait que j’avais mon appartement. Un simple mail du gouvernement canadien, qui m’indiquait que j’étais acceptée. J’étais tirée au sort. J’avais gagné le concours. Si je voulais d’eux, ils voulaient de moi.
Moi. Moi et mes envies d’ailleurs. Moi et ma soif d’aventure. Moi et mes petites graines qui germent dans ma tête. Moi et mon désir de voir le monde qui n’est jamais parti.
C’était un lundi soir, 23 h, j’étais seule dans mon lit, dans mon cocon et j’ai pleuré. Les grosses larmes. Je ne les avais pas sentis sur mes joues depuis plus de deux ans. Depuis le gros changement, depuis la rupture. C’est fou deux ans. C’est fou la symbolique de la vie. C’est une drôle d’aventure la vie.
Suite à cela, des réflexions, des discussions, des annonces. Je le fais ou je ne le fais pas ? Bien sûr que je le fais. Qui suis-je pour tourner le dos face à une telle opportunité ? Peut-être que rien n’arrive par hasard, que c’est la juste continuité de mon aventure. Alors j’ai répondu oui, j’ai dit oui au Canada. Je veux bien de vous. J’accepte de vivre chez vous quelque temps, de voir ce que cette nouvelle étape a à m’offrir. De voir ce qu’il peut se passer, de l’autre côté de l’Atlantique.
Mais dire oui au Canada, c’est dire au revoir à toute une vie parisienne. Le communiquer aux meilleures amies et voir la joie teintée de tristesse sur leur visage. En parler autour de moi, être questionnée “Tu vas vraiment quitter un CDI de responsable édito ?”, “mais t’es folle de partir sans chômage”, “t’es sûre de toi ?”, “t’es sûre que c’est une bonne idée ?”. Je ne suis sûre de rien, si ce n’est d’une chose : je regretterai toujours les coups de folie que je n’ai pas eus par précaution. Je ne passerai pas à côté de cette folie-là, même si ça veut dire mettre toute ma vie dans des cartons et dire au revoir à ceux que j’aime le plus.
Quand j’ai révélé aux compte-gouttes que j’allais quitter Paris pour Montréal, on m’a demandé pourquoi le Canada. En voilà une bonne question ! Je n’y suis jamais allée, je n’aime pas le froid, et je choisirais toujours la mer aux autres propositions. Pourtant, c’est dans un pays où l’hiver dure de longs mois que je m’apprête à partir. Simplement parce qu’on m’a sélectionné. J’aurais pu prendre la décision toute seule comme une grande, de tout plaquer pour vivre un temps à Bali ou de faire un PVT en Australie, où la main du hasard n’a rien à redire. Cependant, j’ai attendu de recevoir un mail pour enfin réaliser que oui, j’en étais capable, oui, je pouvais quitter un CDI, quitter un appartement que j’aime, une routine qui m’a façonné, pour aller voir ailleurs. Étonnement, quand le hasard du tirage au sort entre en jeu, j’ai l’impression que je n’ai pas le choix. C’est maintenant, ou jamais. (Moi, dramatique ? Mais non.)
Le 10 août, jour de ma fête, je recevais un mail annonçant que la décision finale avait été prise. Mon cœur s’est arrêté, après tout, j’avais payé 300 $ mon visa, non remboursable. S’il m’écrivait “finalement, on ne veut pas de toi” j’aurais été déçue. “Votre demande a été approuvée”. Mathilde avait raison, il suffisait d’une phrase. C’est donc officiel, j’ai jusqu’au 10 août 2023 pour débarquer dans ce pays que je ne connais pas, mes valises, mes espoirs et moi.
Pour planifier une nouvelle vie de l’autre côté de l’Atlantique, il faut conclure quelques chapitres par ici. Quitter mon CDI, poser ma démission après 5 ans dans la même entreprise. Les sentiments sont complexes. Un mélange d’excitation, teintée d’une peur et d’un peu de tristesse. Cinq ans à se rendre chaque jour au même endroit. À prendre cette ligne 9, à entendre les maracas dans ma tête quand la voix du métro dit le Sambat de Marcel. Cinq ans à écrire, à mettre en place des projets passionnants, à sortir de ma zone de confort. Mais aussi à rencontrer de nouvelles personnes, presque chaque mois. À se faire des ami.e.s, à voir entrer dans ma vie des êtres incroyables, mais aussi à voir des gens partir. D’épuisement, pour de nouvelles aventures, pour voyager. Et me dire que moi aussi, un jour, je ferai pareil. Je prendrai mes cliques et mes claques et je partirai très loin. Ce jour est arrivé.
C’est juste une lettre à déposer au bureau des RH, et pourtant, c’est tellement plus. C’est s’écouter, se faire un cadeau, sauter dans le vide. Peut-être que ça ne marchera pas, que dès les premiers jours, je vais regretter mon bureau et les 47 objets qui le façonnent. Peut-être que je vais avoir des difficultés pour gagner de l’argent. Mais après tout, la réponse à tout ça reste la même que lors de mon dernier saut : je n’étais plus vraiment heureuse. Je n’avais plus la flamme, chaque réveil devenait insurmontable. Cette ligne 9 semblait chaque jour, plus longue que le précédent. Et à la fin du compte, je ne me retrouvais plus trop dans mon quotidien. Je crois qu’au travail comme en amour, quand la flamme disparaît, quand on ne trouve plus de sens et qu’on vit chaque semaine de façon robotique, sans en tirer d’épanouissement, c’est qu’il est temps de partir.
Il est l’heure pour moi de fermer un chapitre incroyablement inspirant, un merveilleux chapitre qui répondait à tous les rêves et toutes les envies, de celle que j’étais il y a 10 ans. Il ne reste plus qu’à moi, d’offrir à celle que je suis aujourd’hui, une histoire encore plus folle, encore plus rocambolesque.
Le grand départ aura lieu dans quelques mois, je t’en reparle vite.
Bisous,
Lauréna
P.s : un PVT c’est un Permis Vacances Travail, ça veut dire que je peux travailler dans une entreprise canadienne ou simplement y vivre et y voyager, comme bon me semble, pendant deux ans. Tu te demandes alors “tu pars pour deux ans ?” et la réponse, c’est que je n’en sais rien. L’avenir me le dira !
C'est dingue, après avoir voyagé partout dans le monde seule, dès mes 22 ans, être revenue à Paris puis repartie pour réaliser mon rêve de PVT, ce dont je rêve, ou peut être dont je crois rêver, c'est d'un CDI en journalisme. Mais on se trompe une fois plongés dans cette société parisienne. Le vrai rêve c'est l'aventure, et merci de me le rappeler ou du moins, me donner à nouveau une nouvelle perspective :)
Belle aventure en vue, tellement bien écrit,
je suis sûr de toi, te soutien et serai toujours là pour toi.