Des nouvelles de nos approvisionnements en batteries
Le "knee point", et l'estimation cruciale du vieillissement de nos modules
Temps de lecture : 14 minutes.
Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 219 pionniers.
Salut à tous,
Plus le temps passe, plus cette aventure progresse, et plus les hypothèses que je faisais jusqu’à présent doivent être solidifiées.
Car aujourd’hui, nous sommes en train de poser les fondations de notre modèle industriel. Et pour y parvenir, comme nous en avons parlé il y a quelques semaines dans le rapport hebdomadaire consacré au gisement de modules de Renault Zoé, nous devons muscler notre clairvoyance.
C’est le dur exercice de l’industrialisation :
On doit passer d’une échelle unitaire où nous savons faire fonctionner un prototype ;
À une échelle sérielle où nous devons mettre sur le marché des milliers de systèmes fonctionnels.
Et pour ça, on doit extrapoler ce qu’on a appris grâce à notre prototype pour estimer ce qu’il adviendra de notre production industrielle.
Voilà qui est périlleux.
Car transposer nos apprentissages d’un élément isolé à une masse future d’éléments revient à prédire l’avenir sur la base d’informations très parcellaires. Alors pour y parvenir, on ne peut qu’essayer d’épaissir la maigreur des informations en notre possession, pour éclairer nos prévisions.
C’est ce que j’ai essayé de faire, il y a quelque temps, en estimant le gisement de modules de Renault Zoé disponibles pour une seconde vie sur les 10 prochaines années.
Mais cette projection n’est pas suffisante.
Car elle pose l’hypothèse que les modules de seconde vie auront un état de santé homogène lorsque sonnera la fin de vie des Renault Zoé qu’ils équipent. Or c’est une hypothèse beaucoup trop forte pour être acceptable.
On doit donc renforcer notre modèle d’estimation du gisement de batteries à notre disposition, en lui injectant une dose d’estimation de l’état de santé des batteries lorsqu’elles termineront leur première vie.
C’est une lourde tâche, que je ne vais évidemment pas cerner entièrement en un jour.
Ce rapport hebdomadaire sera donc le premier d’une série dont je ne connais pas à l’avance la durée, mais qui visera justement à identifier aussi finement que possible la durée de vie des batteries de Renault Zoé.
Et ce faisant, cette série de rapports hebdomadaires permettra d’ajuster notre modèle industriel, pour le densifier aussi vigoureusement que possible.
Car c’est la seule manière de lui donner les chances de se réaliser pleinement.
La mort d’une batterie
Tout commence (ou tout finit) par la mort de la batterie.
Une mort que nous avons étudiée ensemble dans la newsletter que j’ai rédigée mercredi dernier, qui traitait de la courbe de vieillissement habituelle des batteries lithium-ion.
Dans cette newsletter, j’introduisais la notion de “knee-point”.
Si vous l’avez ratée — ou si votre boite de réception est inondée par des newsletters d’intérêt inégal — vous pouvez y jeter un œil pour rattraper le temps perdu :
Et si vous l’avez lue — ou si vous ne ne vous sentez pas de lire 2 fois ma prose aujourd’hui — un bref rappel : le knee-point est le point d’inflexion inévitable dans la courbe de vieillissement d’une batterie, à partir duquel la batterie devient inutilisable.
Car au-delà de ce point, la courbe de vieillissement plonge et en un claquement de doigts, son état de santé devient si faible qu’on ne peut plus rien en faire.
Autrement dit, à partir de ce knee-point, la batterie devient une passoire à électrons.
Elle ne sait plus les retenir dans son sein, et se contente de les regarder passer à la manière des habitués des bars PMU, dont l’activité se limite au décompte du nombre de passants dans les rues de nos villes.
Sans vouloir les offenser.
Vraiment, ce n’est pas mon but.
Mais le moins que l’on puisse en dire, c’est que leur utilité sociale est discutable. Au même titre que l’utilité électrique d’une batterie lithium-ion qui a passé son point de non-retour est contestable.
En somme, on peut considérer que le knee-point signe la mort d’une batterie.
Une fois qu’on a dit ça, on n’a rien dit.
Car on vient seulement de poser un cadre évident :
Une batterie lithium-ion a un début et une fin ;
Et sa fin est sonnée quand sa capacité à stocker de l’énergie électrochimique chute.
Voilà qui est finalement assez indiscutablement facile à énoncer.
Ce qui est moins facile à énoncer, en revanche, c’est la prédiction de la date de fin d’activité. Or en tant que concepteurs d’un groupe motopropulseur réemployant des batteries lithium-ion de seconde vie, la date d’expiration est un facteur dimensionnant pour nous.
Et c’est là que le bât blesse.
Nous l’avons aussi vu dans la newsletter hebdomadaire de ce mercredi, les mécanismes qui sous-tendent le vieillissement des batteries lithium-ion sont nombreux, complexes, et s’additionnent.
Leur vieillissement inévitable est donc peu aisé à prévoir à l’avance.
Mais par chance, plutôt que de le prévoir à l’avance, il existe des protocoles réalisables en laboratoire de vieillissement accéléré des cellules lithium-ion. Et par une chance inhabituelle, une équipe de recherche a eu la bonne idée de passer la cellule qui nous intéresse au crible de ce protocole.
Le vieillissement accéléré de la cellule LG Chem E63
Vous le savez peut-être, j’ai longtemps fait l’éloge d’un livre.
Un livre qui a fait office de livre de chevet, de bible inestimable, et d’encyclopédie omnisciente. Je parle évidemment du livre Motorcycle Dynamics de Vittore Cossalter, dans lequel j’ai appris tout ce qui faisait une bonne conception de moto.
Depuis, je n’avais jamais trouvé d’équivalent au culte que je vouais à ce livre.
Mais cette semaine, c’est avec émotion que je vous partage l’émergence d’une nouvelle dévotion à toute épreuve.
Cette dévotion, Vittore Cossalter va en effet devoir la partager avec Gaizka Saladaña & José Ignacio San Martín.
La raison d’une telle intrusion ?
C’est que ces 2 chercheurs ont décidé de se consacrer depuis 2020 à l’étude du vieillissement des batteries lithium-ion. Et plus que d’étudier les batteries lithium-ion, ils ont choisi de se spécialiser dans une cellule en particulier.
Cette cellule, c’est la LG Chem E63 — celle qui équipe les Renault Zoé 40.
Et quelle bonne idée ils ont eue !
Car en étudiant le vieillissement de cette cellule spécifiquement, ils nous ont fait économiser des dizaines de milliers d’euros d’investissements en équipements nécessaires pour étudier en laboratoire le vieillissement de cellules.
Sans compter les centaines (!) de milliers d’euros qu’ils ont investis à notre place, pour payer les chercheurs expérimentés qui se sont adonnés à une telle étude.
En somme, encore et toujours, la science ouverte vient de nous faire gagner 3 ans.
Et en plus de nous faire gagner 3 ans, elle vient de nous rassurer très largement.
Car les études expérimentales qui ont été menées par les 2 auteurs au cours des 4 dernières années (et qui ont été décrites dans 4 articles de recherche) confirment ce que les propriétaires de Renault Zoé observent : le knee-point est très lointain.
Cette confirmation se trouve essentiellement dans une figure venant d’un de leurs premiers articles sur le sujet (et que j’avais déjà cité il y a bien longtemps).
Une figure sur laquelle on peut voir différentes courbes de vieillissement accéléré pour la cellule des Renault Zoé 40. Et une figure dont j’aimerais vous partager les implications.
L’analyse des résultats
Ce qu’il faut lire sur cette courbe, c’est l’évolution des carrés qui marquent les résultats expérimentaux.
Ce sont eux qui nous intéressent en premier, et non les courbes interpolées à partir d’un modèle empirique. Ces courbes seront très utiles dans un autre temps, mais ce qui nous inquiète en premier lieu, c’est la réalité expérimentale.
Ce que je vous propose de vérifier, c’est le comportement des carrés qui sont situés en-dessous de 80% d’état de santé.
Car 80%, c’est la valeur arbitrairement utilisée jusqu’à présent pour signifier la fin de vie d’une batterie — en posant que le knee-point tant redouté intervient à cette coordonnée.
Mais 80%, c’est aussi l’état de santé auquel nous allons recevoir probablement nos modules.
Car selon toute vraisemblance (et selon les informations parcellaires que nous avons aujourd’hui) les Renault Zoé rendront en moyenne leur dernier souffle à cet état de santé, qui semble coïncider avec les 200 000 km d’espérance de vie des voitures contemporaines.
Alors je vous propose de vous concentrer sur les points suivants de la figure :
En voyant ces points, vous comprenez pourquoi il y a de quoi souffler.
Les 9 points se situant entre 80% et 70% d’état de santé ne semblent pas marquer de point d’inflexion fatal en forme de genou, comme on peut l’observer sur les courbes de vieillissement habituelles des cellules lithium-ion.
Ce qui suggère que, dans le cadre de l’étude qui a été menée par nos 2 messies, le knee-point se situe en-dessous de 70% d’état de santé. Nous laissant alors 10 points de pourcentage d’état de santé en rab sur les modules de Renault Zoé, en garantissant effectivement une nouvelle vie à ces modules.
Voilà donc qui doit nous rassurer.
Ou du moins, nous donner quelques instants de répit.
Car en réalité, cette figure n’est pas une réponse définitive à notre inquiétude. En cause : elle a été réalisée en conditions idéales de laboratoire.
Une réalisation qui a certes prouvé que les paramètres d’utilisation influaient sur le vieillissement des cellules lithium-ion (température, profondeur de décharge moyenne, puissance moyenne), mais qui ne suffira pas à reproduire finement la sollicitation d’une batterie dans une voiture.
Il faut dire que sur cette étude, les cycles de charge/décharge imposaient un courant constant.
Or cette demande constante est bien éloignée de ce qu’une batterie de voiture électrique connaît dans sa dure vie de labeur.
Et puis il ne faut pas oublier que pour bien prévoir la courbe de vieillissement de modules que nous allons recevoir, nous devons intégrer la très grande inhomogénéité de l’utilisation des batteries de voitures électriques dans la vraie vie.
Ainsi, ces études vont devoir être complémentées par des données en milieu réel.
Et ça, c’est justement ce que nous comptons demander à Renault dans les prochaines semaines.
Renault, Mobilize et Indra
Lors de la réunion que nous avons faite en ce début de semaine avec la cheffe de l’innovation de chez Renault, nous avons fait une découverte.
C’est que notre partenariat avec Indra ne suffira pas.
Pour rappel, Indra Automobile Recycling est une filiale de Renault, rassemblant un réseau de casses si large qu’il traite 38% des véhicules hors d’usage de France. Indra appartient donc sans surprise à l’écosystème de la Refactory, consacré à l’industrie circulaire.
Mais ce que nous avons appris au cours de cette réunion, c’est que si Indra est la cheville ouvrière de l’organisation circulaire de Renault, ce n’est pas elle qui a la propriété de ce qu’elle démantèle.
Après s’être sali les mains, Indra doit donc céder ses trouvailles à une autre entité.
Cette entité, c’est Mobilize.
Une entreprise qui a été créée par Renault, qui appartient entièrement à Renault, et dont le but est en partie de trouver quoi faire des voitures électriques Renault quand elles ont traversé le Styx.
J’imagine que ce montage a été fait essentiellement pour se conformer à la responsabilité juridique qui est imposée à chaque constructeur de véhicules électriques de s’occuper des batteries qu’ils ont utilisées jusqu’au recyclage complet.
Ainsi, en convaincant Indra, nous n’avons fait que la moitié du chemin.
Nous avons posé les briques de la chaîne d’approvisionnements en modules de seconde vie, c’est qui est une étape absolument nécessaire et ancrée dans le réel. Mais sans le savoir, nous avons oublié de convaincre les vrais décideurs.
Alors dans les prochaines semaines, c’est évidemment ce que nous allons tenter de faire. Ce qui est à la fois une contrainte désagréable (comme l’impression de recommencer de zéro) et une opportunité pas si bête.
Car il y a fort à parier qu’ils ont récolté les données que nous recherchons pour densifier nos projections d’approvisionnement.
Mobilize se consacrant en effet à maximiser la durée de vie des véhicules et des composants qui ont été conçus par Renault, elle a forcément dressé un tableau très précis de l’état de santé de toutes les batteries du parc Renault.
Et ce faisant, elle saura répondre à la question que je me pose aujourd’hui : est-ce que les résultats de l’étude menée par les 2 chercheurs qui j’ai cités plus haut sont confirmés par les données récoltées en conditions réelles ?
Le programme de mes prochaines semaines est donc tout trouvé.
Je vais les consacrer à faire le nécessaire pour convaincre cet acteur qui vient d’apparaître de nulle part dans l’écosystème Renault (et qui est d’ailleurs encore assez flou, je dois le concéder).
Mon but sera de le convaincre de me partager ces données (qui seront sans doute confidentielles), ce qui me permettra de densifier nos projections de disponibilités des modules de seconde vie afin de solidifier notre modèle industriel.
Mais je ne devrai pas me contenter de récupérer ces données de première importance.
Je vais aussi devoir, selon la satisfaction que j’aurai pu tirer de ces données, m’atteler à persuader Mobilize que nous faisons partie des acteurs les mieux placés pour réemployer judicieusement les modules de Renault Zoé en fin de première vie.
Ce qui sera une lourde tâche.
Car la cheffe de l’innovation de Renault ne s’en est pas cachée : la concurrence sera rude.
Mais comme toujours, je vous partagerai tout ce que j’aurai le droit de partager. Et j’espère qu’un rapport hebdomadaire qui viendra dans les prochaines semaines sera consacré à l’annonce d’une bonne nouvelle.
En tout cas, je m’engage à me battre pour que ça soit le cas.
Bon dimanche,
Julien
P.S. : Ne prenez pas au pied de la lettre la version que je décris ici du rôle de Mobilize. Car il y a un monde entre ce que nous a dit la cheffe de l’innovation de Renault et ce que je peux trouver sur le site de Mobilize.
J’ai peut-être mal compris ses explications, ou peut-être que je suis trop en avance de phase.
Quoi qu’il en soit, je me corrigerai si besoin. Il faut dire qu’ils ont créé une cascade d’entreprises assez illisible, avec Ampere et TheFutureIsNeutral. On s’y perd.
Bonjour,
J’ai une petite question concernant ce passage de l’article:
Car selon toute vraisemblance (et selon les informations parcellaires que nous avons aujourd’hui) les Renault Zoé rendront en moyenne leur dernier souffle à cet état de santé, qui semble coïncider avec les 200 000 km d’espérance de vie des voitures contemporaines.
Si la batterie n’est pas l’élément dimensionnant dans la durée de vie de la voiture, qu’est-ce qui dicte la limite des 200 000km pour la Zoé ?
Cordialement,
Olivier
Salut, je crois que le sujet est tellement complexe qu'il se passe de commentaire...
Enfin si, un.
Mais celui-ci, c'est presque un rituel :
Courage, sois fort !
Arrff !