Notice n° 392
Artiste : Noh
Mouvement : écoactivisme exclusif, contre-spécisme
Période d’activité : années 2030-40
#microplasticien.ne #picopaysagisme #biogéométrie #engagé.e #artifice
Le soir du 21 septembre 2033, à la tourbière du Potroux, le maire de Siflac fait un discours où il explique que la commune, dans le cadre de son effort de décarbonation, a décidé de remettre en fonctionnement la tourbière, drainée depuis le XIXe siècle. Souhaitant donner une dimension artistique à ce chantier, elle a fait appel à Noh, bioplasticienne reconnue.
Celle-ci explique sa démarche : redonner à la tourbière sa place d’antan, grâce à une reconstruction guidée de l’écosystème. Puis elle présente son travail, intitulé Reconquête. Elle dévoile un totem de deux mètres de haut, de section carrée, de couleur marron. Il a la consistance d’une mousse compacte et est réalisé en bio-impression 3D. Il est placé au bord du principal canal de drainage. On y distingue quelques strates, dont Noh explique qu’elles correspondent aux différentes étapes de la reconquête : la première strate, au contact du sol, contient un mélange de spores de champignons. Leur rôle est, aux premières pluies, de développer du mycélium dans le sol pour l’ameublir et le rendre perméable. Les infiltrations doivent détruire peu à peu les rebords du canal principal, puis des canaux environnants, permettant à l’humidité de stagner, de façon à reconstituer la zone humide.
Les champignons sont aidés par des bactéries dépolluantes, qui leur sont associées en motifs nanométriques permettant une bonne symbiose. Ces bactéries ont pour mission de dégrader les herbicides issus de l’agriculture intensive qui restent encore sur la zone.
La strate suivante est celle d’un cocktail de microbes typique des tourbières d’Europe occidentale, qui doit permettre la reconstitution d’un microbiote favorable dans le sol. Les différentes souches sont agencées là encore en nano-motifs, autour de semences de sphaignes et d’orchidées, de façon à optimiser leur développement.
Les autres strates du totem reprennent la suite du cortège floral des tourbières, selon le même modèle.
La présentation du totem est suivie d’un feu d’artifice, également préparé par Noh. Elle y reprend en grande taille les nano-motifs typiques de son travail, dans une mise en abîme pédagogique et multidimensionnelle, où elle met en miroir le sol et le ciel.
C’est là un trait saillant de son œuvre : elle évite de rechercher l’effet esthétique, mais lui donne la possibilité d’advenir par sérendipité, à travers une exploration utilitariste des fonctionnements biologiques. Selon sa formule : « Le vivant est là pour vivre, sa beauté est accidentelle. »
Par la suite, le développement biologique de la tourbière est très satisfaisant, à tel point que la commune de Siflac dépasse largement ses objectifs carbone et peut revendre des quotas. Par ailleurs, la biomasse d’insectes permet rapidement de classer la tourbière en zone à haute valeur environnementale.
Cependant, l’inventaire préalable au classement révèle l’absence totale d’animaux vertébrés, y compris de petite taille. À ce constat s’ajoutent les plaintes des riverains, qui font état de maux de têtes et de vomissements à proximité de la tourbière. Ces épisodes font l’objet d’une enquête, qui révèle que Noh a dispersé grâce au feu d’artifice une pluie de particules chargées en bactéries productrices de gaz neurotoxiques et résistantes aux antibiotiques.
En l’absence de solution, la tourbière reste inviolée à ce jour.
____________
Ancrage dans le monde actuel :
Un grand merci à Franck Halary pour ses explications concernant ses recherches sur la bio-impression 3D
Un article du CNRS : « Les tourbières piègent le CO2 même en cas de sécheresse »
L’article Wikipédia sur le bio-art
Photo de Jaanus Jagomägi sur Unsplash