Delphine #1
Une autrice au succès récent participe à une interview. C’est un nouvel exercice pour elle, et le début d’un étrange chemin.
— Bonjour, Delphine Toumot, bienvenue dans cette émission de rendez-vous avec l’auteur qui vous est consacrée, à l’occasion de la sortie de votre roman « Gens du dehors », merci d’être avec nous à la maison de la radio sur France Culture.
— Bonjour, et merci de m’accueillir.
— Alors je vous le dis d’amblé, ici à la rédaction, tout le monde à aimé votre livre, cette histoire de jeunes gens issus de quartiers populaires qui tentent de s’en sortir à la capitale, nous à emporté. Une écriture fine, un regard aiguisé sur la société, vraiment un merveilleux roman social.
— Et bien j’en suis ravie.
— C’est votre première incursion dans la littérature dite générale, mais ce n’est pas votre premier roman, vous avez écrit douze romans d’épouvante avant cela. Qu’elle est la raison de ce changement de genre ?
— Un éditeur, Luc Gestres. Il m’a dit qu’il commençait une collection généraliste, avec des auteurs habitués aux récits de l’imaginaire, et comment dire… J’ai étais tout de suit séduit par cette proposition et je me suis mise au travail.
Delphine savait, et Luc son éditeur qui la regardait à travers la vitre des techniciens le savait également, ce n’était pas tout à fait ce qui c’était passé. Elle connaissait Luc depuis la prépa littéraire, et c’est elle qui lui avait demandé de l’aider parce que ces livres fantastiques ne se vendaient pas très bien. Mais il lui avait dit de tourner autrement le storytelling autour de la genèse de son roman. Pour qu’elle ne paraisse pas désespérée sans doute.
— Votre éditeur a eu le nez fin apparemment, j’étais un lecteur assidu de vos livres d’horreur et je dois avouer que je ne vous aurai pas vu sur un œuvre aussi ancrer dans la réalité.
Et pourtant s’il avait lu ses livres, se disait-elle, il aurait dû voir tous les thèmes sociaux abordés. Ils y avaient des fantômes, des tueurs sanguinaires, certes, mais les problèmes de l’époque avaient toujours été la base de ses écrits. Et s’il avait lu avec autant d’assiduité qu’il le prétendait, elle n’osait pas demander pourquoi il ne lui avait pas donné un coup de pouce en l’invitant, avant que le succès n’arrive de lui-même. Elle connaissait la réponse. Comme Luc lui avait dit, « La littérature de genre a plus de mal à se frayer un chemin dans les médias… »
— Vous savez, dit Delphine, les thèmes de sociaux ont toujours été à la base de mes récits, même s’ils étaient cachés sous des monceaux de rites de sorcellerie ou autres choses fantastiques.
— C’est vrai, maintenant que vous le dites, vous avez souvent travaillé les ressorts de notre société. Ici, avec « Gens du dehors », vous êtes en plein dans les problèmes d’une certaine jeunesse. Vous êtes vous-même d’un milieu, comment dire… d’un milieu modeste, comment vous êtes-vous replongé dans ce monde après il faut les dire, de grandes études en lettre, notamment à l’ENS, et est-ce que c’est une sorte de prise de recul, sur votre milieu d’origine ?
— Euh non, pas vraiment. Delphine regardait le visage de Luc à travers la vitre pour chercher de l’aide, mais il ne l’avait pas préparé à ce genre de questions idiotes.
Il y avait aux côtés de son ami et éditeur, un homme qui le dépassait d’une bonne tête. Une sorte de géant, au sourcil fourni, et au regard sévère posé sur elle. Il ne clignait pas des yeux. Delphine ne l’avait jamais vue. Elle se disait que sans doute, il était un des techniciens de l’émission, mais son accoutrement de plagiste, elle pouvait imaginer, de là où elle était, qu’il portait des tongs. Quel genre d’employé pouvait bien venir au travail à la radio en t-shirt et short de bain ? se demandait-elle.
L’animateur la tira de son observation par une nouvelle question.
— De quoi s’agit-il, alors, Delphine Toumot ? Une analyse ? Une étude ?
— Non, non… c’est vraiment une histoire, je crois, une histoire avec un cadre, et un thème.
— Quel est ce thème ? Les souffrances d’une jeunesse qui ne se sent pas à sa place ?
— Plein de gens ne se sentent pas à leur place, et il n’y a rien qu’ils ne puissent y faire. Rien. J’aurais très bien pu parler d’immigrés de la première génération, portugais, italiens, magrébins, ou que sais-je… ici c’est une nouvelle génération qui aspire à créer son propre monde tout en étant accepté par le monde en place. Oui, ils sont de milieux modestes, mais je ne sais pas parler d’autres gens, peut-être.
— Revenons aux débuts de votre carrière quelques instants. Est-ce que vous envisagez de revenir vers vos premiers amours et la littérature de l’imaginaire ? Même s’il est vrai que le succès de votre nouveau roman pourrait vous en dissuader.
Delphine jeta un coup d’œil mécanique à Luc, pour se souvenir de ce qu’il lui avait dit de répondre à cette question. Elle s’aperçut que l’homme étrange à ses côtés avait disparu.
— Ah oui, probablement un jour, mais ce n’est pas ce sur quoi je travaille actuellement.
— Sur quoi travaillez-vous ? questionna l’animateur avec ce ton presque gêné que prennent parfois les journalistes en espérant un scoop.
— Un autre roman, dans la même veine. Mais cette fois pas à Paris, je ne peux pas vous en dire plus.
Un intermède musical. Le journaliste rangeait ses fiches, sans lui jeter un regard. Elle avait toujours rêvé d’être invitée à ce genre d’émission. Seulement, elle trouvait l’exercice un peu étrange. Faire de la promotion, c’était un jeu de dupe, pensait-elle. Delphine était là pour vendre son roman, le journaliste l’invitait parce qu’elle faisait l’actualité. Elle avait quelqu’un en face d’elle, qui était là pour faire son travail, il ne pouvait pas vraiment s’enthousiasmer réellement pour tous les livres qu’il voyait défiler chaque jour dans son studio.
La jeune comédienne, qui devait lire un passage du roman, s’installa en face de Delphine.
— Bonjour, madame Toumot, ravie de vous rencontrer, dit la toute jeune femme aux beaux cheveux blonds. J’ai beaucoup aimé votre livre.
— Merci, c’est très gentil.
— Dit, Sacha, on a failli commencer sans toi ! sermonna le journaliste à la comédienne. Allé, c’est à toi dans, 5, 4…
Il finit le compte avec les doigts, et la comédienne commença de lire. Elle lut le passage que Luc avait choisi, de manière parfaitement académique. Delphine songeait que sans doute, il devait y avoir du conservatoire dramatique sous cette diction parfaite et ce ton maitrisé.
Pendant que la lecture avait lieu, Delphine regardait Luc qui lui faisait signe que tout se passait bien. Qui l’était loin le temps de leur amour en prépa. C’est à ce moment-là qu’elle s’était mise à écrire des histoires fantastiques.
Elle se demandait où avait bien pu passer l’homme à côté de Luc. Il lui rappelait un peu trop un des personnages de son premier roman. Un type abominable qui tuait de jeunes femmes saoules sur des plages d’Espagne. Maintenant qu’elle y pensait, il était comme elle se l’était figuré à l’époque.
La lecture se finissait et elle voulait partir de cet endroit. L’apparition l’avait mis mal à l’aise. Elle n’entendit pas vraiment la prochaine question.