Comme un écho à mon dernier article, voilà qu’au détour d’un chemin dans le pays de Scorff, à quelques encablures au nord de Lorient, nous croisons avec Gwenn un homme en train de tailler sa haie. Décidément. Et bien dites donc, lui-dis-je, quelle besogne ! Oh non, vous savez, je fais ça depuis quarante ans. Moi le travail, j’ai pas l’habitude de lui tourner le dos. Nous venons d’appuyer sur le bouton, André est lancé, insatiable. Sa mère était bouchère à Lorient et voulait qu’il devienne charcutier « parce que ça gagne mieux ». Amoureux de celle-ci, il a respecté sa volonté. Mais très vite, il a eu du mal à tuer les bêtes. Je les aime trop. Surtout les chevaux. Mais j’ai eu de tout ici. Des cochons, des moutons, des chevaux bien sûr. Tenez, vous voulez entrer pour voir où ils étaient ? Avec plaisir. Et voilà que soudainement apparaît, derrière la haie, un jardin merveilleux imaginé et sculpté « à vue, à l’instinct » par la main d’André depuis tant d’années. Moi, ce que j’aime, c’est « juste aider la nature à montrer sa beauté ». Juste ! Je déteste les jardins où tout est tiré au cordeau, où l’homme impose sa volonté. Non non, c’est pas ça le jardinage. Moi je mets quelques pierres ici et là, je jette quelques graines et je regarde la nature faire !
Après une heure dans l’Eden d’André et alors que nous pensons terminer la visite, André nous regarde d’un air espiègle, amusé : « à votre avis, c’est quoi ce tas, là ? » Euh... du schiste ? Heureusement, Gwenn sauve l’honneur et reconnaît un amas de quartz. Vous aimez les pierres ? Euh, oui, enfin on n’est pas vraiment des experts. Ah, c’est passionnant les pierres. Moi depuis mes cinquante ans, j’ai la passion de la minéralogie. Oh là là, la passion que j’ai pour cette affaire. Vous voulez voir ? Ni une ni deux, nous voilà maintenant dans l’antre d’André. Au mur, des dessins réalisés par notre hôte « les soirs d’hiver » et des centaines de quartz de toutes formes, de toutes couleurs exposées dans le musée de notre fascinant narrateur, la plupart sous vitres. Et l’homme nous raconte chaque pierre, une à une. Dans quelle carrière il l’a trouvée, par quels exploits il a repéré celle-ci, désenclavé telle autre, taillé celle-là. Vous les vendez ? Pff, pour quoi faire ? L’argent m’intéresse pas. J’aime les pierres, j’aime les regarder. Et quand je vois des gens dans les carrières qui cherchent et qui ne trouvent pas, je leur donne volontiers mes trouvailles.
Après presque trois heures à écouter les exploits d’André, nous sommes subjugués par l’étendue de ses talents. Jardinier, maçon, menuisier, dessinateur, minéralogiste, tailleur de pierres, éleveurs de chevaux, j’en passe. Y a qu’la mécanique qui m’résiste. J’comprends pas comment les gens font pour s’ennuyer. C’est quelque chose que j’peux pas comprendre. Y en a pourtant des trucs à faire sur terre ! Nous sourions. André nous fait penser à mon frère ou encore à Barnabé Chaillot que nous découvrirons un peu plus tard. C’est un genre de MacGyver à l’imagination et la curiosité débridées, qui s’amuse de tout, qui déconstruit et reconstruit tout, qui préfère fabriquer et réparer plutôt qu’acheter et jeter, et qui semble bien loin d’imaginer que parfois pour nous autres, humanoïdes élevés dans les villes derrière nos écrans, le plus simple des bricolages s’apparente à la montée de l’Everest.
Au détour de cette passionnante rencontre, nous parlons avec André de la maison de son voisin. Nous l’avons repérée en arrivant et l’endroit nous fait grand effet. Il coche presque toutes les cases de notre cahier des charges. André nous motive à aller plus loin. J’crois bien que les propriétaires cherchent à vendre. Ils ne viennent plus très souvent. Vous devriez négocier ! Mais c’est à vendre combien ? Oh, aucune idée, mais faut négocier ! Nous voilà partis à la recherche des coordonnées des propriétaires...
Changement de décor quelques jours plus tard. Nous arrivons dans le Lot-et-Garonne pour retrouver Laurent et ouvrir le livre d’une histoire que nous avons laissée en plan il y a trente ans. Laurent était au lycée avec nous. Il a fait une partie de ses classes préparatoires avec moi. Puis, il a intégré Centrale Nantes (on disait méca Nantes à l’époque), je suis allé à Toulouse, Gwenn est restée à Paris, la vie a fait le reste. Le livre était fermé, rangé dans les souvenirs déconcertants de nos mémoires, et il avait toutes les chances d’y rester, mais Facebook nous a rappelé une date d’anniversaire et a fait le lien entre nos recherches sur les tiny-houses et le projet de Laurent. Quand nous tombons dans les bras à notre arrivée, nous sentons déjà que nous allons écrire un nouveau chapitre commun.
C’est le bon moment. Celui où la vie nous a livré quelques tours de passe-passe, où notre égo a commencé à lâcher prise, où nos chemins semblent parvenir naturellement à leur intersection. Laurent a fondé une famille, élevé trois enfants (tiens, deux filles et un garçon, comme nous). Puis les difficultés de la vie de couple sont apparues. La séparation. Le divorce. Le travail salarié est devenu pesant, subitement, après vingt ans d’un long couloir sans trop prendre le temps de réfléchir et quelques volutes. Le burn-out. La dépression. Au bord du précipice, voilà qu’une amie lui botte les fesses. Il quitte Rennes et entame sa métamorphose. Non sans douleur, non sans difficultés. Il se forme à la menuiserie et loge dans une chambre d’étudiant de dix mètres carrés. Il apprend le bois, les outils du bois. Au milieu de jeunes entre 18 et 25 ans, la plupart sans diplôme ni formation, il finit par révéler timidement qu’il est ingénieur, qu’il connaît les formules magiques des tangentes (tangopadj - synophyp - cosadjhyp), de Pythagore et de Thalès. Il apprend à manier les outils. Il part en stages, fait du wwoofing, vit à droite et à gauche. Il dort une nuit dans sa voiture et craint l’indignité d’avoir à revenir dans sa chambre d’enfant chez ses parents. Mais non, les miracles arrivent. La propriétaire d’une maison lui propose de l’occuper gracieusement le temps qu’il veut. Là, il y a la vue et une grange pour mener à bien le projet de construction de sa première tiny-house. Il respire.
Après une première soirée de retrouvailles, nous attaquons ensemble la construction d’un banc de sciage. Ainsi, Laurent pourra plus facilement couper ses lames de bois de cinq mètres pour bâtir son ouvrage. Laurent nous initie aux outils qui font peur et que nous avons toujours regardés de loin, comme ceux des autres. Nous créons une feuille de débits, arborons notre casque antibruit et nos lunettes de protection, et nous voilà l’un après l’autre à l’œuvre sur la scie à onglet radiale Makita, une grosse machine à couper dont la lame vous coupe un bras en trois secondes si vous n’y prenez pas garde. Mais nous nous concentrons, lentement, et nous y arrivons. Nous sommes fiers de cette petite victoire. Voyager c’est aussi cela. Vaincre ses peurs. Même les plus saugrenues. Nous coupons, nous vissons, nous installons. En moins de trois heures, le banc est prêt. Nous sommes joyeux de cette fabrication commune, il est temps d’immortaliser l’instant avec une photo.
Le lendemain, Laurent nous emmène en balade dans le Lot-et-Garonne. Nous sillonnons les routes dans le camion Toyota qu’il a acheté pour tracter demain sa tiny-house. L’engin fait un bruit d’enfer, mais nous avons l’impression d’être des Indiana Jones ou de retour dans l’univers africain de nos vingt ans. De Villeneuve-sur-Lot, nous allons à Saint-Avit puis à Monflanquin. Nous pique-niquons au bord d’un lac. Nous sommes étonnés de voir comme le regard de Laurent nous semble désormais observateur. Tiens, une violette. Tiens, les pruniers ont été remplacés par des noisetiers. Tiens, un genêt. Il semble voir la nature et les gens d’un regard nouveau. D’ailleurs, il peint désormais des aquarelles, scrutant les ombres et les jeux de lumière. Tout cela a été long, nous dit-il. Laurent paraît ici dans son élément. Comme s’il était né ici, dans cette nature.
Avant de partir, nous faisons un dernier bricolage sur la remorque qui accueillera la future tiny-house. Nous partons marcher. Mon Dieu, que ce moment est doux et paisible. Le temps nous aurait-il bonifiés ? A bientôt l’ami, c’était bien agréable de venir couper quelques planches à tes côtés.
P.-S. Pour suivre les aventures de Laurent, la construction de sa tiny-house ou vous en commander une, c’est sur Facebook en tapant Tiny_house_Todo_es_Posible
Trop bon cette lecture de votre virée! j'aurais adoré voir qq photos du jardin d’André. Bon dimanche!