Voilà, la maison est vendue. Nous signons le compromis de vente lundi, demain.
Et se pose désormais la question de la maison dans laquelle nous voudrions vivre dorénavant.
Alors nous sillonnons.
Il y a quelques jours, nous avons repris contact avec Laurent, un ami de lycée avec qui nous avons révisé nos concours d’entrée en école d’ingénieurs en 1989 et 1990, dans l’espace au sous-sol que mon père et sa femme Jacqueline nous avaient aménagé et dont nous ne sortions que pour prendre rapidement nos repas, hagards. Laurent a bifurqué depuis quelques années, après vingt ans de bons et loyaux services chez un opérateur téléphonique dont le nom est une couleur, ou un fruit, mais dont il a dû s’approprier les droits comme on le fait aujourd’hui pour tout et n’importe quoi. Reconverti aux métiers du bois, Laurent entame la création de sa tiny house, sa minuscule maison avec le désir d’en faire, pourquoi pas, son activité future. Nous irons le voir bientôt pour rigoler, parler du bon vieux temps (enfin si l’on peut parler ainsi des classes préparatoires), construire et apprendre quelques jours à ses côtés.
Nous nous sommes intéressés aux minuscules maisons en pensant qu’une d’entre elles pourrait être le point de départ de notre nouveau chez-nous. Démarrer petit, frugalement. Revenir à l’essentiel. De quoi avons-nous besoin, réellement, fondamentalement ? Avoir un premier endroit pour poser nos affaires et bâtir le reste, tranquillement, sereinement. Sur un hectare de nature, il y a un puits, un bout de forêt et un potager. À côté de notre première tiny house, nous avons posé une yourte qui sert d’espace commun, de grande cuisine, de salles de jeux ou de musique. Un peu plus loin, disséminés ici et là dans la verdure, deux ou trois habitats légers ou moins légers, mais autonomes en eau et en électricité. Nos enfants et nos amis peuvent ainsi venir nous voir, avoir leur coin de tranquillité et leurs moments de convivialité dans la yourte ou au jardin. S’il le faut, si l’on en a envie ou besoin, on loue aussi de temps en temps ces habitats à des voyageurs de passage.
Je crois que cette représentation a commencé à émerger lorsque nous nous sommes arrêtés l’été dernier chez Virginie et Stéphane, sur l’île de Groix, alors qu’Aurélie, Yann et leurs enfants nous accueillaient sur leur voilier pour naviguer d’île en île au sud Bretagne. Nous avons vu avec quelles poésie, délicatesse et sobriété ils avaient aménagé avec leurs deux fantastiques garçons leur jardin tout en longueur pendant que leur petite maison se construisait. Quel doux, délicieux moment.
Dans notre tableau imaginé, notre utopie future, il y a donc une yourte. Elle nous a conduits à contacter Aurélie, une jeune fille incroyable qui, entre mille activités, a construit le Ty Village à Saint-Brieuc. Puis Guilhem, que je connais depuis quelques années. C’est l’un des fondateurs de la Ruche qui dit Oui, son âme créatrice. Guilhem a fait l’expérience de vivre avec sa famille depuis un an dans une grande yourte, « une contemporaine de 65 mètres carrés », dans la ZAD de Notre Dame des Landes. Il nous raconte : « j’adore la sensation de m’endormir en contact avec la nature, entendre les bruits des feuilles et des animaux, voir le ciel et les étoiles à travers la coupole ». Il me fait penser à Yann Arthus-Bertrand qui raconte ses années heureuses en Afrique, lorsque les animaux sauvages s’approchaient de lui et de sa maison « sans avoir peur de l’homme ». Guilhem et sa femme Je-hanne viennent de trouver leur lieu. Non pas un, mais vingt-cinq hectares près de Pontivy, soufflant in extremis le lopin de terre à un trader survivaliste argenté. Guilhem nous dit, enthousiaste et conteur : « chaque jour, ça sera déjà terminé... les horizons te font passer à côté... on a acheté notre terrain, planté notre yourte en cinq jours et voilà, on est chez nous, on ne vit pas suspendu à l’idée qu’on sera chez nous quand au bout de plusieurs mois ou années ça sera terminé, non ça commence, c’est déjà terminé et ça ne sera jamais terminé ». Nous faisons des parallèles avec la vie d’entrepreneur où la fixation et la tenue des objectifs nous mettent constamment en tension. « Je ne veux plus de ça », nous dit-il. Je comprends. Nous irons lui rendre visite prochainement.
Mais l’habitat léger, c’est un peu comme la maison de paille des trois petits cochons. Est-ce qu’au premier froid, au premier coup de vent, tout cela ne va pas nous faire grelotter et nous lasser ? Alors on a regardé les maisons « en dur ». Et grâce à un architecte nantais, Loïc, on a découvert les maisons en... paille. Contrairement aux comptines de James Halliwell-Philipps qui a probablement façonné notre imaginaire, de ce qui est solide et ne l’est pas, ces constructions résistent très bien aux vents, aux loups, à la pluie et sont aussi économiques à construire qu’agréables à vivre. Loïc est fan de la technique canadienne du Greb. Il nous explique : « Le principe consiste à construire sa maison avec une ossature en bois, puis utiliser un mélange de paille et de boue pour monter les murs ». Isolant, ignifuge, facile à bâtir si l’on a un peu de temps et des copains pour aider. Un truc d’Amish ! De là, on a découvert le réseau Twiza pour apprendre à mettre les mains dans le cambouis dans des chantiers participatifs. Puis on est allé voir la maison qu’Anne-Cécile s’est construite avec ses petites mains près de Vannes. Des chantiers participatifs, elle en a fait une dizaine pour passer de la théorie à l’action, ou plutôt du désir à l’action. Voilà qui résonne avec nos dernières cogitations. Voyager, cela pourrait être aussi d’aller apprendre dans des chantiers de ce type. Anne-Cécile a réussi son pari. On la sent fière, confiante. En deux ans et demi, elle a trouvé et acheté son terrain, bien plus petit que ce qu’elle imaginait au départ et elle s’en réjouit. Puis elle a construit sa maison (en paille donc, avec une autre technique), autonome en eau, disposant d’une pédo-épuration, et chauffée intégralement avec un poêle à bois central. Bluffant. Elle partage avec générosité son expérience. Après quelques heures de discussions chez elle et alors qu’on s’apprête à partir avec Gwenn, admiratifs de l’entreprise d’Anne-Cécile, elle nous confie : « c’est après avoir lu ton article sur ton expérience au Bec-Hellouin il y a six ans que j’ai déclenché les choses ! ». Incroyable, touchant.
De là, nous sommes allés passer un week-end chez Brigitte et Patrick Baronnet dont l’histoire, à contre-courant du mouvement de notre société depuis cinquante ans, nous apparaît à Gwenn et moi, aussi fascinante qu’instructive. En mai 68, les Baronnet ne croient pas davantage aux sirènes du capitalisme qu’aux lanternes du marxisme. Pour eux, les choses sont limpides et spirituelles. Il ne sert pas plus de trimer pour accumuler et appeler au secours dès qu’un robinet d’eau fuit faute de savoir faire la moindre chose de ses dix doigts que d’imaginer qu’un pouvoir central va s’occuper de notre bien-être. Non, il faut se prendre en main, apprendre et faire ce qui essentiel à la vie et à notre bien-être. Ils achètent un bout de terrain. Tiens, avec un puits et une vieille bicoque à retaper. Bien sûr, on les prend pour des fous. Au fil des ans, ils apprennent en faisant. Ils deviennent des experts en plomberie, en menuiserie, en architecture, en construction, en botanique, en maraîchage, en énergétique, en yoga, en danse, en musique et j’en passe certainement. « Si tu fais, tu n’as plus peur que quelque chose casse ou ne marche plus dans ta maison, car tu sais réparer », nous dit joyeusement Patrick. Il ajoute : « Quand tu fais et que tu répares, tu fais simple et en général adapté à tes besoins, tu évites le disproportionné ». Il nous interroge : « Qui sait combien il/elle consomme en eau et en électricité annuellement ? ». Deux mains se lèvent timidement. « Commencez par identifier vos besoins », déclame-t-il. Au fil du week-end, nous découvrons comment les Baronnet se sont progressivement rendus autonomes en eau puis en électricité, sans manquer de rien et sans vivre avec l’âne et le bœuf dans le salon. Voilà des gens qui ont choisi leurs dépendances ! Nous découvrons la construction de l’éolienne Pigott, performante et silencieuse. Nous redécouvrons comment on fabrique l’électricité, loin des centaines de formules apprises quand nous étions en prépa. Nous apprenons l’usage de l’onduleur et pourquoi « les batteries, il faut les prendre au plomb, surtout pas au lithium ! ». Quand on en vient au compost et aux toilettes sèches, nos connaissances sont enfin plus aguerries, mais nous sommes bluffés par l’ingéniosité du système de récupération et chauffage de l’eau pour les douches.
Une vingtaine de personnes racontent à tour de rôle leur projet et leur propre transition en cours. Beaucoup parlent de leur éco-anxiété, solastalgie ou de leur opposition au « système ». Brigitte intervient : « Nous avons réussi à construire, car nous avions confiance en nous. Nous savions ce que nous voulions. Et les choses sont arrivées, comme par magie. Comme Indiana Jones pris au piège et qui doit faire un pas dans le vide pour voir le pont apparaître. Mais, je crois que si nous avions eu peur, si nous avions résisté contre tel ou tel bouc-émissaire, nous nous serions épuisés, stérilisés ». Patrick complète dans une tonalité plus résistante : « Tous les problèmes que vous aurez seront d’ordre administratif. Soyez rusés. Faites et déclarez ensuite ! Battez-vous, défendez-vous, montrez que ce que vous faites a du sens pour vous et la communauté ! » Parmi les participants, le témoignage de Ouassim m’émeut. Je le trouve tendre, intelligent, lumineux. Fils d’immigré algérien d’une famille de six enfants, il habite dans les corons dans son enfance. Son père « trime à la mine », mais cultive un potager, construit la maison. Ses parents le poussent comme ses frères et sœurs à faire des études. Ils en font tous. « Il n’y a que ça pour s’élever mon fils ». Lui devient ingénieur en électro-mécanique, n’apprend rien des compétences de ses parents. Il sillonne l’Afrique pendant neuf ans en missions successives pour un « grand groupe français ». Il raconte : « Nous arrivions dans des villages où les gens avaient peu et vivaient heureux. Là, nous importions nos machines et notre idée du développement. Je devais dimensionner des méga-machines pour creuser des trous ou des routes. On semait les infrastructures et la misère. J’en ai eu assez. Je ne sais rien faire d’utile avec mes mains. Je veux désormais apprendre ce que mon père savait et croyait inutile au monde ». Avant de nous quitter, Brigitte nous annonce que c’est aujourd’hui son anniversaire. Elle prend la harpe et nous joue un, puis deux morceaux avant que Patrick vienne chanter, doucement, une mélodie bretonne devant un public conquis.
Voilà, depuis, nous avons repris la route, traversé la Bretagne en direction de Locquirec pour chercher notre futur chez-nous, maintenant que les critères de recherche s’affinent.
Ça ressemble au jardin d'Eden! Où il fera bon vous rendre visite. Bonne prospection!