#1 | Sous un arbre, partout dans le monde
Présentation du modeste Elzevir Corridan par Elzevir Corridan, extraits de son carnet intime photocopiés par sa femme
Manuscrites le 22 février 2024, ces bribes de vie quotidienne nous dressait le portrait d’un être affable mais déterminé. Sa longue expérience de la vie ne l’avait pas aigri, il regardait encore le monde avec un regard bienveillant que la consommation du thé à la menthe sauvage favorisait.
Je me réveillais ce matin sans me souvenir où la maison s’était installée. Nous n’avions pas abusé de vins. La vie des lutins préserve ses mystères, mais les petits êtres comme nous savent en approcher certains avec plus d’acuité que le peuple des humains. Les légendes vertes dont je suis issu constituent le fil qui nous relie au réel. Je m’aventure peu au dehors, je n’ignore pas que les vérités se cachent derrière les ombres des arbres, la vie s’accroche et tient à quelques racines. Quand je marche les herbes me dépassent, alors je me transforme en feu follet et je vole.
Il y a quelques centaines d’années, on m’a appelé Elzevir Corridan. Je mesure quinze centimètres depuis mes bottines jusqu’à mon chapeau et je vis dans une maison située pour cette semaine dans une clairière dans une forêt française. Cette maison si elle repère un danger a la capacité de changer de lieu pour retrouver un endroit calme, en sécurité, sans humains qui chassent ou se baladent. Elle utilise le don d’invisibilité, toujours attentive de nuit comme de jour.
Au fil des ans, partout les arbres sont coupés, je n’ignore pas que notre territoire se réduit et que nous sommes obligés de nous réfugier de plus en plus souvent dans un univers imaginaire parallèle. Heureusement, il s’agit d’un endroit aux dimensions infinis et dont je possède les clefs.
Pendant le confinement de 2020 régnait la grande paix et tous les animaux cachés s’étaient aventurés sur notre clairière surtout la nuit. Malheureusement, cela n’a pas duré. Annabelle a pris beaucoup de photos à ce moment là. Mais mon quotidien n’a pas été perturbé. Quand je suis dans mon bureau, j’aime établir des listes que je note dans mon grimoire à la lumière de la bougie. Entre mes listes de courses, je me lance avec régularité dans des chroniques à chaque fois que nous téléportons la maison dans un endroit lointain.
Tous les endroits sont lointains pour nous, nos racines ont poussé hors le sol bien des fois depuis le début de notre histoire, mais notre cœur se souvient de tous les lieux où nous avons transité. Notre forêt d’origine se situait dans le Poitou, la forêt de Moulière. Elle possède encore une riche diversité. Nous y revenons souvent, sous de vieux chênes centenaires.
J’écris à la plume trempée dans une encre de Chine noire sur un grimoire dont chaque page affiche la date dans une écriture médiévale et ouvragée dès que je pose la pointe de ma plume sur le papier. C’est magique, tout autour de moi est de nature féérique à commencé par ma femme. Depuis longtemps à mes côtés, Annabelle Corridan, lutine de 1566 ans toujours jolie, pleine d’une énergie généreuse, elle fait de moi un lutin comblé.
Nous traversons l’an 2024, l’hiver dépressif, et il pleut, et la grisaille domine. Mais dans mon cœur, il y a du soleil car nous fêtons notre anniversaire de mariage. Les fleurs poussent dans la maison, s’accrochent aux murs, savent qu’elles vivront le temps de cette journée éphémère avant de retourner dans la serre. Le soleil descend déjà. D’autres lutins ne vont pas tarder à se joindre à nous pour dîner aux chandelles, bien au chaud près de la cheminée où se consument des champignons séchés. La soirée promet d’être agréable, pleine de chaleur et de convivialité. La table de notre salon sait lancer des sujets de conversation quand le silence s’immisce. Une biche nous regarde à travers la fenêtre, elle ne sait pas que je l’ai vu. Je referme ce grimoire pour aller aider Annabelle. Elle dresse une table très colorée.
Que les dieux des Elfes nous préservent.
Dans la prochaine lettre nous les observerons, pourront-ils s’être bien nourris de produits locaux et de vin bon marché, de bonne humeur et d’histoires ?